Entretien avec Bernard Sulpis, Délégué Régional de RFF, le samedi 29 mars 2003

, par Bruno Bretelle

Ce texte est une transcription de l’intervention de Bernard Sulpis, Délégué Régional de Réseau Ferré de France, lors de l’émission intitulée « CO2 mon amour » diffusée le samedi 29 mars 2003 sur France-Inter, de 14h à 15h. Cliquer sur ce lien pour écouter cette émission en ligne. Les sous-titres sont de nos soins pour faciliter la lecture de cet entretien.

 Intérêt de la Petite Ceinture pour le transport de voyageurs

Denis Cheissoux  : « Bernard Sulpis, vous êtes le Délégué Régional de Réseau Ferré de France et aujourd’hui on va parler de la Petite Ceinture que connaissent bien les Parisiens [...]. Vous avez des projets chez RFF. Ce ne sont pas forcément des projets qui vont voir le jour tout de suite, mais c’est intéressant de savoir ce que vous avez dans les cartons et ce pourrait devenir la Petite Ceinture plus tard. »

Bernard Sulpis : « Nous, ce qu’on souhaite en faire dans un premier temps, clairement, nous (NLDR : RFF) considérons que cette emprise ferroviaire est une réserve pour l’avenir et que nous ne serions pas responsables si nous la laissions partir car on ne retrouvera jamais une telle opportunité de quasi-continuité circulaire autour de Paris, si on la laisse tomber. »
Ca peut servir à quoi la Petite Ceinture ? Ca peut servir à recevoir du trafic voyageurs. Alors c’est vrai qu’aujourd’hui c’est plutôt le tramway sur les boulevards des Maréchaux qui a la cotte. [...] Immédiatement l’idée c’est d’opposer la Petite Ceinture ferroviaire et les boulevards des Maréchaux. Et ce qui les oppose disent : « maintenant qu’il y a un tramway sur les boulevards des Maréchaux, la Petite Ceinture ne sert plus à rien ». Alors, en matière de transport de voyageurs je me plais de temps en temps à rappeler que au début du siècle dernier, [...]il y avait deux projets qui s’opposaient : le projet de l’État et le projet de la Ville de Paris en matière de desserte de Paris. Le projet de l’État, c’était en gros de relier les grandes gares entre elles par des liaisons souterraines à travers Paris. Et puis le projet de la Ville de Paris, c’était le réseau du métropolitain. C’est la Ville de Paris qui a gagné et on a fait le métro. Et puis un siècle après, qu’est-ce qu’on constate ? On a le métro et puis on a le Réseau Express Régional (NLDR : le réseau du RER). [...] Je me dis simplement, que certes le tramway (NLDR : sur les boulevards des Maréchaux) va se faire, mais qu’il y aura peut être place dans quelques années pour un autre système de transport, peut être plus rapide, parce que la Petite Ceinture est intégralement en site propre. [...] Un petit RER qui ne s’arrêterait qu’avec des stations de correspondances avec le métro, sur lequel on rabatterait aussi des gens qui viennent de banlieue. [...] Vous savez, quand vous regardez ce qui fait le succès du métropolitain, c’est le fait qu’on peut aller de n’importe quel point de Paris à n’importe quel autre en prenant le métro. Bien sûr, pas directement. Et bien demain, il est possible que la Petite Ceinture permette de commencer son parcours, par exemple sur la ligne C du RER, de prendre un système un peu rapide pour aller rejoindre la ligne E du RER, par exemple à Évangile, et peut être de repartir en banlieue.

 Intérêt de la Petite Ceinture pour le transport de marchandises

Denis Cheissoux : « Bernard Sulpis, si l’on pense aussi au fret : on a énormément de camions et de camionnettes, surtout dans Paris. Est-ce que là, il peut y avoir aussi une piste à creuser ? »

Bernard Sulpis : « Le fret, c’est même quelque chose qui pourrait venir plus rapidement. D’abord, je crois qu’il faut rassurer les gens. Il n’a jamais été question et il n’y a aucun projet qui comprend la circulation sur la Petite Ceinture de trains de fret de 700 mètres de long, venant emprunter la Petite Ceinture partant de Dunkerque pour aller [..] à Vintimille. Très vraisembablement, la Petite Ceinture sera utilisée dans ce qu’on appelle la politique des plates-formes de logistique urbaine (plates-formes logistiques de proximité). [...] Il s’agit à partir des grandes plates-formes logistiques qui existent, les grands triages de Villeneuve (NLDR : Villeneuve Saint-Georges), du Bourget, de Bobigny, [...] de découper des trains et d’en envoyer des petits morceaux vers des toutes petites gares marchandises, situées à proximité même des lieux de destination, par exemple pour de l’eau minérale, et ensuite d’assurer cette distribution, qui obligatoirement sera une distribution immédiate par, par exemple, des petits véhicules électriques. [...] Actuellement, [...] on décharge les trains, on les met dans des gros camions, genre 38 tonnes, semi-remorques, et puis quelque part après dans Paris ou dans la grande banlieue, on décharge ces gros camions dans des petits camions. [...] On éviterait un déchargement et c’est le petit wagon qu’on enverrait sur la plates-formes de logistique urbaine. [..] Là, la Petite Ceinture a évidemment tout son intérêt : [...] elle relie tous les réseaux, c’est à dire que le grand train soit à Villeneuve ou qu’il soit à Bobigny, [..] on prend deux wagons et on les amène par exemple dans l’ancienne gare des Gobelins (NLDR : cette gare marchandise se trouve sous la dalle des Olympiades, dans le 13e arrondissement). [..] C’est plus l’image d’un tramway fret, c’est à dire quelques chose qui est silencieux, qui a des dimensions qui sont des dimensions urbaines. C’est vrai que le matériel lui-même est en cours de recherche. Certaines personnes savent qu’on a remis des voies neuves sur une petite partie de la Petite Ceinture au Nord (NLDR : sur 300 mètres à la hauteur de la Porte de Clignancourt, dans le 18e) et qu’on a essayé des trains, des wagons spéciaux conçus pour faire le moins de bruit possible en site urbain. [...] Ca ne sera pas un TGV, rassurez vous et rassurez les riverains. [...] C’est important pour les gens. Quand vous regardez autour de la Petite Ceinture, vous vous apercez qu’on a laissé construire très près de la Petite Ceinture et parfois même, la voie est plutôt au troisième étage qu’au rez-de-chaussée. Ce serait un problème aussi en utilisation en promenade ; je ne suis pas sûr que les gens aient tellement envie qu’il y ait des gens qui se promènent devant leurs fenêtres et qui puissent voir ce qu’ils sont en train de manger dans leur assiette. « 

 Délais prévisibles pour la réalisation de ces projets

Denis Cheissoux : « A quel horizon pourrait-on voir cette Petite Ceinture avec les projets que vous nous avez présentés ? »

Bernard Sulpis : « Sur les plates-formes fret, il y a des crédits d’inscrits au Contrat actuel, au moins pour faire quelques expréiences, et il n’est pas à exclure que avant 4 ou 5 ans une expérience puisse se faire avec utilisation de la Petite Ceinture et une plate-forme dans Paris. [...] C’est le court terme. Pour d’autres projets, [...] il faut être franc : à partir du moment où vous n’avez pas de crédits d’inscrits au Contrat de Plan, et il est clair que tout projet voyageurs nécessitera des crédits publics, pour un projet comme celui-ci il faudra compter dix ans. Alors, comme je n’ai rien aujourd’hui, je dis que c’est au mieux 2015-2020.

  Des aménagements réversibles en attendant ?

Denis Cheissoux : « M. Sulpis, en attendant, c’est vrai que nous avons des coulées vertes qui sont assez superbes. J’imagine bien que voir ces lieux en friche ne vous intéresse pas, ni la SNCF ni RFF. C’est à dire que l’on peut imaginer une prise en charge, peut être par les citoyens, par des associations ? »

Bernard Sulpis : « Oui. RFF l’a dit et le réaffirme : en attendant que des projets ferroviaires se concrétisent, nous sommes tout à fait favorables à permettre, par exemple, l’autorisation temporaire du domaine public ferroviaire, à mettre à disposition certaines parties de la plate-forme, puique je vous ait dit que des trains circulaient sur d’autres, [...] pour qu’elles soient aménagées par exemple en lieux de promenades, un peu de squares, etc.. En maintenant bien le caractère ferroviaire de l’infrastructure, parce que je pense que ça peut être aussi un élément d’animation intéressant et dans un cadre clairement provisoire et réversible. Pas question de planter de mince baliveau qui, vingt ans après, est un arbre [...] qu’on n’a plus le droit d’abattre parce que toutes les associations de protection de la nature protesteraient.« 

 Conclusion

Denis Cheissoux : « M. Sulpis, est-ce que les récents évènements, à savoir la fermeture, maintenant la réouverture du tunnel du Mont-Blanc, le ferroutage, qu’on commence à voir poindre - heureusement - en France ; est-ce que tout ceci n’a pas un facteur accélérateur pour penser à remettre cette Petite Ceinture en état et à la faire fonctionner pour des problèmes de fret entre autres ? »

Bernard Sulpis : « Il y a ces problèmes là, mais il y aussi [...] toutes les rélexions sur la façon dont on peut assurer pour l’avenir la vie dans des zones agglomérées de l’importance de Paris. En particulier, les réflexions sur le plan de la qualité de l’air, le plan de déplacement urbain, qui insistent sur la nécessité de maîtriser la circulation automobile pour les gens mais aussi pour le transport des marchandises. C’est effectivement dans tout cette prise de conscience qu’on ne peut pas laisser les gens faire n’importe quoi, parce que sinon on finira par crever en ville, que se placent toutes ces réflexions sur la Petite Ceinture entre autres. »

Denis Cheissoux : « M. Sulpis, merci à vous. C’était donc l’histoire d’une ligne qui tourne en rond, qui se cherche et qui va se trouver un avenir ? »

Bernard Sulpis : « Certainement ! »