Analyse du projet de coulée verte sur la Petite Ceinture ferroviaire

, par Association Sauvegarde Petite Ceinture (ASPCRF)

À l’automne 1995, le Maire de Paris, Jean Tibéri, lança le débat sur le devenir de la Petite Ceinture au Sud de Paris : ligne de tramway ou promenade plantée ? Finalement, la Mairie de Paris décida d’implanter le tramway sur les boulevards des Maréchaux, choix repris en 2001 par le successeur de Jean Tibéri, Bertrand Delanoë. Il apparaissait alors important à la Ville de Paris de prendre la place à la voiture en réintroduisant le tramway sur la voirie, à l’instar de nombreuses villes de Province, plutôt que de réhabiliter une ligne urbaine de chemin de fer située hors de la voirie pour du transport de voyageurs, comme ce fut fait avec la ligne T2 mise en service en 1997 entre La Défense et Issy-Les-Moulineaux.

Dans cet article, nous analysons les raisons qui alimentent l’idée d’une coulée verte sur la Petite Ceinture et les caractéristiques de ce projet en terme de :

  • Continuité sur les 23 kilomètres disponibles,
  • Fréquentation potentielle,
  • Nuisances pour les riverains.

 Les perceptions actuelles de la Petite Ceinture ferroviaire

Du fait qu’il n’y ait plus de trafic ferroviaire régulier depuis 1993 sur la quasi-totalité des vingt-trois kilomètres de la Petite Ceinture situés au Nord, à l’Est et au Sud de Paris, entre le faisceau de voies de la gare Saint-Lazare dans le 17e arrondissement et le RER C, à la hauteur de la station « Pont du Garigliano – Hôpital Européen Georges Pompidou », dans le 15e arrondissement, le souvenir de l’activité ferroviaire s’évanouit progressivement.

Par ailleurs, inutilisé, l’espace de la Petite Ceinture contraste avec celui de la voirie urbaine. Principalement, son calme contraste avec le bruit de la circulation routière, tandis que la présence de végétation sur ses talus contraste avec le caractère souvent minéral des rues.

Ces contrastes inspirent l’idée de la transformation de la Petite Ceinture en promenade plantée, comme l’a été la partie parisienne de la ligne de Paris-Bastille à Marles-en-Brie dans les années Quatre-Vingt, la fameuse « Coulée Verte » du 12e arrondissement.

Mais ces contrastes alimentent également le principal obstacle à la réutilisation de la Petite Ceinture quelque soit le projet envisagé : la résistance au changement exprimée par une partie des riverains de la ligne. Les témoignages de ces riverains ont montré que cette résistance au changement peut emprunter deux visages : celui d’une peur des nuisances sonores et visuelles générées par un usage régulier de la ligne, mais aussi celui d’un désir d’intégration de sa plate-forme aux copropriétés privées qui la jouxtent.

Par ailleurs, cette résistance ne constitue pas l’unique difficulté que rencontre le projet de promenade plantée. Une autre difficulté, liée à la configuration physique de la Petite Ceinture, existe : la présence de longs tunnels et de tranchées profondes qui impose la discontinuité de la promenade.

 Une promenade forcément discontinue

Construite durant le Second Empire dans des zones déjà en cours d’urbanisation, puis remaniée au Nord et à l’Est entre 1886 et 1889 pour supprimer les derniers passages à niveau de son tracé, la Petite Ceinture est très rarement située au niveau de la voirie. Par conséquent, elle adopte sur son linéaire les quatre principales configurations suivantes :

  • En tunnel,
  • En tranchée profonde,
  • En remblai,
  • En viaduc.

Étudions à présent si ces différentes configurations peuvent être utilisées pour une promenade :

Un exemple d’endroit difficile à convertir en promenade plantée. Cliché ASPCRF Tous droits réservés.
Voici un exemple d’alternance entre des tranchées profondes et des tunnels (tunnel de Montsouris, long de 900 mètres). Au bout du tunnel, la tranchée du parc Montsouris. Vue prise depuis la tranchée de la Villa Virginie, près de la porte d’Orléans.
  • Des tunnels longs et disséminés le long des vingt-trois kilomètres de la Petite Ceinture

Au total, plus d’un tiers, soit huit kilomètres, des vingt-trois kilomètres disponibles de la ligne sur les sections Sud, Est et Nord, sont aujourd’hui en tunnel. En outre, ces sections en tunnel sont disséminées le long de la ligne et brisent ainsi la possibilité d’une coulée verte continue sur vingt-trois kilomètres. Il serait très difficile pour des raisons de sécurité, dont les accès pompiers, d’ouvrir à la promenade des tunnels souvent longs de plusieurs centaines de mètres.

  • Des tranchées profondes très difficilement accessibles

Un autre obstacle à l’aménagement d’une promenade est l’accessibilité très difficile des sections à ciel ouvert établies en tranchée profonde (environ 10 mètres de profondeur en contrebas des rues) et entourées de tunnels longs de plusieurs centaines de mètres. Ces sections représentent au total environ trois des vingt-trois kilomètres disponibles de la ligne sur les sections Sud, Est et Nord.
En tout, les sections en tunnel et en tranchée profonde représentent environ la moitié des vingt-trois kilomètres de la ligne

  • Des sections en viaduc proches des immeubles d’habitation

Les sections en viaduc sont souvent proches des immeubles d’habitation et, contrairement à la Promenade Plantée dans le 12e arrondissement de Paris et à la High Line à New-York, l’aménagement d’une promenade sur la Petite Ceinture ne serait pas accompagnée d’un remodelage des quartiers traversés. Autrement dit, un tel aménagement devrait se faire avec une population riveraine déjà présente et connaissant depuis quelques années un calme exceptionnel à Paris, du fait de l’interruption de tout trafic ferroviaire régulier.

Ces sections représentent environ deux kilomètres des vingt-trois kilomètres disponibles de la ligne sur les sections Sud, Est et Nord.

  • Conclusion : une promenade envisageable sur seulement 40 % du tracé

Finalement, seules les sections en remblai ou en tranchée peu profondes posent peu de problèmes pour la réalisation d’une promenade plantée. Mais elles ne représentent qu’environ 40 %, soit environ neuf kilomètres, des vingt-trois kilomètres disponibles de la ligne sur les sections Sud, Est et Nord.

Par ailleurs, du fait de la dissémination des sections en tunnel et en tranchée profonde le long des vingt-trois kilomètres de la ligne, les aménagements ne peuvent être continus.

 Population potentiellement concernée

Quelle serait la population potentiellement concernée par une promenade sur la Petite Ceinture ?

La fréquentation des parcs et jardins est liée à la météo : pendant la saison froide, ils sont peu fréquentés, contrairement aux beaux jours.

Le caractère linéaire de la Petite Ceinture ferroviaire : un long espace possédant une faible largeur moyenne - une dizaine de mètres - limiterait la surface accessible aux promeneurs et par conséquent, le nombre de ces derniers.

La promenade plantée du 12e arrondissement aménagée sur le tracé de l’ancienne ligne de la Bastille, passe près de quartiers centraux et fort fréquentés (La Bastille, Aligre, Gare de Lyon). À l’inverse, la Petite Ceinture est une infrastructure de rocade située en périphérie de Paris, où peu de quartiers sont forts fréquentés.

Mais surtout, comparée à la fréquentation d’un transport en commun ferroviaire, la fréquentation d’une promenade plantée serait très faible : de l’ordre de quelques milliers de personnes par jour et surtout les jours de beaux temps, alors que la fréquentation d’un transport en commun se compterait en centaines de milliers et ce en toute saison. Même si la fréquentation de la promenade dépassait les dix mille visiteurs par jour, ce serait toujours beaucoup moins que la fréquentation d’un transport en commun. Le transport ferroviaire aurait une utilité sociale d’un tout autre ordre de grandeur.

 Nuisances pour les riverains

La possibilité de nuisances pour les riverains engendrées par la circulation d’un transport ferroviaire fut invoquée par les élus locaux au début des années Deux Mille pour refuser de voir prolonger la ligne de tramway T2 jusqu’à la porte de Versailles via la Petite Ceinture. Pourtant, force est de constater qu’une promenade plantée engendrerait également des nuisances visuelles et sonores pour les riverains.

Que se passerait-il si, par exemple, lors de l’ouverture au public de la promenade dans le 15e arrondissement, prévue en 2013, une foule importante s’y retrouvait pour pique-niquer et faire la fête, comme cela est aujourd’hui facile au moyen des réseaux sociaux sur Internet ? Comment évoluerait la perception de la coulée verte et la réaction des riverains ?

 Récapitulatif

Critère\Projet Promenade plantée Transport de voyageurs
Continuité Non et seulement 11 km utilisables Oui
Population potentiellement concernée En milliers En centaine(s) de milliers
Nuisances pour les riverains Oui Oui